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ILE (le Mythe de l'Ile paradisiaque)
 
 

 

+ Des photos…

+ Une thèse !

 


Alessandro Scafi
L’île du paradis dans la cartographie médiévale

La nostalgie d’un âge d’or, liée à l’idée du paradis terrestre, n’est-elle pas au cœur de toutes les civilisations ? L’Antiquité gréco-latine, par la voix d’auteurs comme Platon, Ovide et Lucien de Samosate, imagina l’Atlantide, le jardin des Hespérides et les îles Fortunées, lieux d’harmonie, d’abondance ou de jeunesse éternelle. Le Moyen Âge chrétien préféra croire que le jardin d’Éden n’avait pu disparaître de notre monde ; aussi chercha-t-il à concilier ce postulat théologique avec les connaissances géographiques de l’époque, et tenta-t-il d’inscrire sur les cartes en parchemin ce lieu idéal qui ne pouvait être qu’une île.

S’il faut en croire Jean-Jacques Rousseau, « dans ce monde, la terre des chimères seule est digne d’être habitée, et beau seulement ce qui n’existe pas ». Au Moyen Âge, une terre des chimères existait réellement, bien qu’elle fût devenue inaccessible au genre humain après le péché : c’était le paradis terrestre, le jardin d’Éden où Adam et Ève avaient fait l’expérience de l’innocence. Cette terre était parfois conçue – et dessinée sur les cartes – comme une île, par exemple sur la carte du monde de Sawley (fin du XIIe siècle), qui se trouve dans un manuscrit qui connut une grande diffusion, l’Imago mundi d’Honorius d’Autun. Comme c’était usuel à l’époque, la carte est orientée avec l’est en haut et représente les trois continents connus, l’Asie, l’Europe et l’Afrique. L’île du paradis se situe en Extrême-Orient, identifiée par le mot paradisus et par la source des quatre fleuves décrits dans le livre de la Genèse. Il ne s’agit pas du paradis céleste auquel on accède post mortem mais du paradis originel, localisé sur la Terre, où Adam et Ève vécurent au commencement du monde.

C’est, pris à la lettre, le récit biblique sur la création du monde et de l’homme qui inspirait aux cartographes médiévaux l’inclusion de l’Éden dans leur représentation de la Terre. La Genèse décrit un jardin dans lequel Dieu a placé le premier homme et la première femme, jardin irrigué par quatre fleuves et pourvu d’une abondante végétation. Poussée par le mauvais conseil du serpent, Ève convainc Adam de goûter au fruit prohibé de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal. La punition est immédiate : Adam et Ève sont expulsés du jardin des délices, dont l’accès est dès lors interdit à l’humanité entière. Après quelques siècles de débat sur la signification réelle de la description biblique du paradis terrestre, l’autorité de saint Augustin consacra la réalité géographique de ce lieu reculé et inaccessible. Chaque histoire rapportée dans la Bible, affirmait le théologien, a d’abord une signification littérale et historique. Adam a vécu dans un lieu réel sur Terre, appelé jardin d’Éden. C’est parce que certaines versions de la Genèse rapportaient que ce lieu était situé en Orient qu’on le trouve sur la carte de Sawley dans le point le plus oriental de la Terre.

Au Moyen Âge, on croyait donc que le jardin d’Éden, bien qu’inaccessible, se trouvait encore sur Terre, et que les fleuves mentionnés dans la Genèse – le Pison (le Gange), le Gichon (le Nil), le Tigre et l’Euphrate –, prenant leur origine à l’intérieur du paradis puis, après un trajet souterrain, remontant à la surface dans les lieux de leurs sources connues, apportaient la vie à la Terre. L’exacte position du paradis terrestre restait cependant inconnue. Isidore, évêque de Séville au VIIe siècle, inséra une discussion sur la géographie de l’Éden dans ses Étymologies : selon lui, le paradis terrestre se situait en Asie, entouré par un anneau de feu qui atteignait le ciel. Particulièrement intéressante est son observation qu’il ne faut pas confondre le jardin d’Éden avec les îles Fortunées de la tradition classique, situées dans l’océan Occidental. L’antiquité gréco-romaine avait en effet imaginé des îles paradisiaques : les Champs-Élysées, les îles des Bienheureux, le jardin des Hespérides. Les premiers Pères de l’Église pensaient qu’en décrivant les délices d’îles fabuleuses, les auteurs antiques évoquaient en réalité l’Éden biblique. Isidore de Séville, dans sa géographie « globale », admettait aussi bien le paradis de la Genèse que les îles paradisiaques des Anciens, tous deux contigus à la terre habitée par les hommes. Dans plusieurs cartes médiévales, par exemple la mappemonde de Hereford (vers 1300), on trouve en effet une représentation soit de l’île du jardin d’Éden soit des îles Fortunées de la tradition classique. En tout cas, l’invitation d’Isidore à ne pas confondre le paradis chrétien avec les îles païennes implique la croyance que le jardin d’Éden est forcément insulaire, alors que la description qui en est faite dans la Bible ne le spécifie en rien.

L’idée que le paradis terrestre pût être une île au milieu de l’océan fut confirmée au VIIIe siècle par Bède le Vénérable. Ce docteur de l’Église écrivait que le paradis était un lieu très étendu, agréable et délicieux. À son avis, ce lieu extraordinaire se trouvait à l’Orient, mais seul Dieu en connaissait la position précise. Le paradis terrestre était séparé du monde connu par une ample région de terre ou de mer. L’hypothèse que le paradis était une île s’accordait avec l’idée qu’il se trouvait au-delà du monde habité, situé dans la partie septentrionale du globe, à son tour entourée par l’océan. Le symbole de l’île exprimait aussi la dimension foncièrement « autre » de l’Éden, différent du monde ordinaire. […]

 

 

+ Ile rêvée par un Architecte :

Pour ce dernier point :
Lilypad, une cité flottante pour les réfugiés climatiques (projet de l'architecte Vincent Callebaut ) ;
voir :

http://vincent.callebaut.org/page1-img-lilypad.html